Paradox Music

INTERVIEW #030 – Deikean

Cover of Paradox Techno interview with DEIKEAN
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Super échange avec le camarade Deikean au détour de son podcast, et autour de ses projets (Forsaken cell et OIAA) et de sa vision punk de la Techno…

  • Hola David, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

J’ai plutôt envie qu’ils me découvrent par eux-mêmes !

  • Quel a été ton parcours en termes d’influence et d’écoute dans le monde très sinueux de la Techno ?

J’écoute de la techno, de la musique électronique en fait, depuis que j’ai 8/9 ans. J’ai écouté la techno « mainstream » des 90s notamment grâce à mon frère qui achetait des compils avec du Jeff Mills, Carl Cox, Laurent Garnier, pas mal d’acid trance aussi, c’était très en vogue, puis cette techno-là a disparu des médias, et du coup par ignorance et par recherche j’ai écouté toutes sortes de choses quand j’étais ado, certaines totalement merdiques, d’autres beaucoup moins… De la house, puis beaucoup de dark minimale, de shranz, du gabber, de l’acid, de la psytrance, de la drum&bass, de la tech-house… Je suis vraiment revenu à la techno telle que ce que je la joue aujourd’hui il y a 6/7 ans, quand j’ai découvert que ça existait encore, tapie dans l’ombre des internets avant que ça devienne hype avec la légende à propos d’un temple berlinois qui attire aujourd’hui plus de bobos à qui on a vendu du rêve que de vrais freaks. J’écoutais beaucoup les sets et tracks de Dettmann, Klock, Shifted, Mike Dehnert, Kevin Gorman… Quand j’écoutais ça j’avais comme une révélation : « C’est ça la techno ». Comme je l’entendais, comme je l’imaginais depuis toujours en fait. Je me suis vraiment senti en phase avec ce son-là. Puis à mesure que j’ai fréquenté divers disquaires, Soundcloud, la scène, etc… ma culture musicale n’a cessé de croître et mes influences se multiplient et se diversifient de jour en jour, notamment dans le son de Détroit, et aussi en dub techno, en musique ambient et expérimentale… Aujourd’hui je fais principalement la synthèse de tout ça.

  • En lisant ta petite bio, on y devine un petit côté anti-système, utopiste. On la remet pour nos lecteurs : « Lone adventurer off a restless ocean, a foggy night, aboard an old boat cracked, without a lifejacket, just a vinyl tray, completing the crossing to join what appears to be the Promised Land, the one of the uncompromising techno music.” Que trouves-tu paradoxal ou à revoir dans la sphère techno?

Ça dépend où on se place. Il n’y a pas forcément de paradoxe au niveau des artistes qui évoluent au sein de la scène underground et qui agissent sans faire de concessions. En revanche, j’en perçois un gros au niveau de la scène « visible », celle qui intéresse les promoteurs hype et les gros webzines : la musique techno est née de la résistance underground face au mercantilisme, entre autre des majors, et se veut sans étiquette, et ce sont ces étiquettes et tout ce travail d’image et de marketing qui dénaturent cette musique et entachent son essence initiale, la raison pour laquelle cette musique a existé et le mouvement autour de celle-ci s’est fondé. C’est marrant de voir certains vanter le côté « épuré » de la techno et se masturber sur UR alors qu’ils n’ont rien compris à leur univers et eux-mêmes contribuent à la salir en foutant Nina Kraviz sur un lineup ou en prétendant organiser des « raves » dans un club tout propre à 15 balles l’entrée. Mais je m’en tape, Ils ne m’intéressent pas… Je m’intéresse à ceux qui font vraiment de la techno : ceux qui ont des choses à dire, qui expérimentent. La scène underground regorge de précieux talents qui ont autre chose à foutre que de gérer leur image comme un business, donc c’est positif. Dernièrement j’ai pris une claque dans une rave clandestine dans un entrepôt où un mec a posé un fat live digne de très grands noms de la scène… Il aurait pu être ailleurs. Le talent est là : dans l’ombre !

  • En 2014, t’as décidé de mettre « tes balls » sur la table et de créer ton label : « Forsaken Cell ». En français ça donne « cellule abandonnée » c’est bien ça ? Que peux-tu nous dire sur la genèse de ce joli projet ?

Effectivement, ça peut se traduire comme ça. L’origine du nom est plus complexe, c’est une concaténation de deux noms de jeux vidéos : forsaken, un très vieux jeu PC sorti en 1995, et splinter cell, inspirants pour leurs univers respectifs, à la fois sci-fi et industriel pour l’un et « geek cyberpunk » pour l’autre. Le résultat donne ça : la cellule abandonnée. Ça représente bien ce qu’on est : une cellule de nerds qui se sont abandonnés dans les abysses musicales technoïdes et industriels. On se connait depuis pas mal de temps maintenant, on forme une petite famille, liés par la musique, la rave culture, et la passion pour tout ce qui tourne autour, j’ai senti qu’il était temps d’« officialiser » tout ça, mais de sortir des plaques surtout, c’était le moment de se lancer. Ça faisait un moment que je voulais monter ce label, mais je n’avais ni moyen, ni l’entourage, car pour monter un projet comme ça, il faut des sous, une solide équipe avec soi, et travailler avec des gens sérieux, notamment un bon distributeur. Les choses se sont construites doucement mais assez naturellement au final, avec les bonnes rencontres et la maturation croissante des projets musicaux. Je dois également beaucoup à l’équipe de Syncrophone, notamment Didier Allyne, qui m’a apporté de sérieux conseils.

  • Ce qui m’a le plus parlé dans la première sortie du label, signée Deikean, c’est le tour de force que t’y as réussi : pouvoir mélanger harmonieusement tes diverses influences. Du coup ca sonne pas comme le reste des sorties techno du moment…
Deikean Forsaken Cell cover

Je n’ai pas le sentiment d’avoir fait quelque chose d’exceptionnel en soi, même si je suis relativement satisfait du résultat, j’ai surtout fait ça avec le cœur et la sincérité, et rien d’autre. Je compose depuis pas mal d’années en étant 100% moi-même, en synthétisant en même temps toutes mes influences passées et actuelles, tout en tentant de laisser une patte très personnelle. Mais je laisse les choses se faire de façon fluide, sans prise de tête. Chaque track se veut unique et résulte aussi bien d’une expérimentation musicale, émotionnelle, que technique, parfois en testant un nouvel outil ou une nouvelle façon de l’utiliser. Par exemple, j’ai acquis il y a presque un an quelques machines dont l’analog four et l’analog rytm, et tous les jours, je découvre quelque chose dessus, une feature cachée ou une combinaison sonore, c’est magique. 

Je fais aussi beaucoup de field recording avec mon zoom H5N et le sampler d’Ableton live pour le traiter. Dans un track par exemple, j’ai samplé des grillons pendant mes vacances en Ardèche pour en faire des hi-hats. Je me suis mis aussi au live coding avec Supercollider. J’ai pas encore sorti grand chose avec, mais ça va venir, je dois d’abord maîtriser le tout, je n’aime pas faire les choses au hasard.​

 

  • La deuxième sortie du label est signée par The 矯激 solid system, qui est aussi ton « partner in crime » dans le duo OIAA : Organisation Intermittente d’Artistes Apatrides. Comment s’est monté ce projet de duo?

Là aussi de manière assez naturelle. J’ai rencontré Raph début 2013 quand il était rédacteur et vidéaste chez Stellar Fugitives, par le biais d’Olivia, qui tient le projet. On parlait beaucoup de musique, mais il ne m’avait jamais présenté ses projets. Un jour, il pose un lien vers un track sur son mur Facebook. J’ai pris une grosse claque, à la fois sur sa musique, mais aussi sur son nom de scène et l’idée qu’il avait derrière. J’ai vite deviné que c’était lui. À côté de ça, on se voyait régulièrement quand je descendais à Lyon, donc on a commencé à faire du son ensemble et ça l’a fait tout de suite. On arrive à bien accorder nos violons, ou plutôt nos machines, quel que soit le tempo et l’énergie qu’on pose dans nos jam sessions.

 

  • En parlant du nom que vous avez choisi pour ce duo, penses-tu qu’il y a encore une place pour la politique dans le mouvement Techno ?

Il y a de la place pour un message, c’est même primordial qu’il y en ait un, c’est ce qui donne sens à cette musique. Politique, je ne sais pas, de mon point de vu oui, le mouvement est né sur une base politique, que ce soit à Detroit, à Manchester et à Berlin, le contexte social a poussé les artistes à la créativité et la foule à se réunir dans des spots parfois dangereux, souvent clandestinement, pour faire la fête, en faisant tomber les barrières socio-culturelles qui sclérosent la société. Beaucoup d’anciens se sont battus pour la reconnaissance de cette musique et le droit de raver sans subir une descente de CRS !! Aujourd’hui les choses sont établies de manière plus sûres et professionnelles : c’est rassurant, ça permet à certains d’en vivre et au grand public d’être garanti de passer sa soirée sans risquer de respirer du lacrymo, mais du coup il manque un côté punk, un côté hippie aussi, la scène techno « officielle » qu’on nous expose est austère et trop soucieuse de son paraître et manque cruellement de créativité et de courage, sans compter que tous ceux qui tournent ne sont pas tous très bons… Il n’y a plus vraiment de message ni de recherche dans leur musique. On ne peut pas se contenter d’adapter ses compos ou sa com’ pour rester « dans le game » comme beaucoup font…

 

  • Revenons aux activités de OIAA. Vous avez joué votre première perf live à Lyon dans le cadre des Nuits Sonores. Comment s’est passé cette première ?

C’était punk haha !! L’organisation a rencontré des problèmes logistiques à cause d’un camion qui les a plantés à la dernière minute, et tout le matos a été installé très tardivement. Au final on n’a eu que 3 minutes de soundcheck, du coup on faisait les balances en live. En plus de ça, l’ER1 de Raph nous a lâché le matin même, du coup il a dû improviser ses glitchs avec ses autres machines. Quant à moi, j’en étais à ma première prestation « live » en public, donc j’étais assez stressé. Au final tout s’est fait naturellement, on s’est bien amusé, beaucoup de potes sont venus, grosse vibe, c’était cool. On espère rejouer ensemble bientôt, mais davantage en free.

 

  • Quel bilan tires-tu de ces deux sorties sur ton label? Doit-on s’attendre à une suite dans les prochains mois ?

J’ai perdu un peu de sous !! Mais je m’en tape, je suis content de ces deux sorties, surtout la deuxième, c’est vraiment de la bombe. C’est l’EP qui m’a vraiment motivé à monter le label. À la base, je ne voulais même pas m’auto signer, mais je l’ai fait à force qu’on me demande « tu sors quand un disque ? », puis le premier disque est un crash test, alors autant y aller avec le sien. C’était mes trois tracks préférées. Au final, les EP tournent assez bien, des bons Djs comme DVS1, Marcelus, Blind Observatory, Hydergine, Jack De Marseille, ou encore Manu Le Malin, nous ont acheté le disque et nous ont joué sans qu’on ait eu à leur envoyer de promos, mais parce qu’ils ont aimé… ça, ça donne le smile. On a prévu pas mal de disques pour la suite. La prochaine vient de Jiman, un très bon pote et un artiste dub techno incroyable, des tracks dingues, un des meilleurs producteurs de France. Il a sorti son premier EP sur Nowhere, le sous-label de Syncrophone, et signe le second à la maison, avec 5 tracks entre dub techno et expérimentale, assez ouf. Ensuite, j’en sors un nouveau, et il y a également un EP de Célome dans les tiroirs et un EP d’OIAA de prévu, on a déjà retenu deux tracks. Je penche également sur un EP de remixes.

 

  • Comment décrirais-tu un morceau intemporel en Techno?

Comme le morceau optimal, avec des sonorités et des grooves qui ont du caractère, de la personnalité, qui ne rentrent pas dans des cases, qui représentent un style par eux-même, qui ont leur propre vie, et qui présentent des textures qui chatouillent les oreilles… Très important : les textures !! C’est la base. Ce sont ces conditions qui font qu’un morceau vit hors du temps, ne périme pas… Quand on l’écoute 10 ans après, on ressent encore son émotion. C’est quelque chose qui parle à l’humain, et pas seulement à ses jambes comme une simple tool faite simplement pour faire danser.

 

  • Quels artistes ou labels t’ont le plus marqués en 2015?

Le label de Marcelus, Singular, et notamment l’EP de Claudia Anderson, Neutral State, que je joue dans le podcast à ce propos… Ainsi que Construct Re-form, dont Zadig et Voiski. La scène française, en général, se porte bien. L’EP de Jiman sur Nowhere est dingo, je le joue aussi. Célome, Emerging Patterns, Ennony, K21, Av Skardi, 25ème Dimension, font également des choses incroyables… J’ai aussi adoré l’EP de Ryan James Ford sur le label de Marcel Dettmann. J’adore cet artiste d’ailleurs, très humble, très simple, et ses tracks sont tout simplement incroyables… Ses unreleased notamment… J’ai aussi beaucoup kiffé les sorties de Kgiv, Szare, Skee Mask, Regal, Boston 168, Andrea Parker, Mono Junk, Nthng, Korridor, Grad_U… Le label d’Ulf Eriksson, Kontra Musik, est incroyable aussi. Très inspirant.

 

  • Quelle a été ta dernière grosse claque musicale en live ?

Monolake au Transient Festival !! C’était juste magnifique, tout comme Richard Devine !! Il y a aussi Surgeon. Je l’avais toujours vu qu’en set et j’ai jamais vraiment kiffé en tant que DJ. En live par contre c’est ouffissime. Il sort un nouvel album, vu ce que j’ai entendu j’ai plus que hâte !! En DJ set, DJ Pete au Reaktor festival, Zadig au Berghain, Grad_U au Batofar, et surtout Kcinaj Yoleug alias « Vortexx », avec qui j’ai joué à Mantes-La-Jolie, qui a tapé un set digne des plus grands de la scène… Bon désolé du coup j’ai répondu « tes dernières grosses claques » haha !!

 

  • A quoi doit-on s’attendre dans les mois avenirs concernant ton actu artistique perso ?

Je sors un remix techno prochainement de l’EP d’ambient noise « pays sans visage » de Dasein. Comme mentionné je prévois un nouvel EP sur Forsaken Cell, et j’ai pas mal de tracks prêtes que je vais sûrement proposer aux différents labels avec lesquels je me sens en phase artistiquement. C’est important de ne pas considérer un label comme une machine à disques mais comme une famille, c’est aussi comme ça que j’ai pensé celui que j’ai monté. Je travaille également sur un side project beaucoup moins « techno floor » mais je le maintiens secret. À côté de ça je joue à Lyon le 19 février « All Night Long » au Boxboys pour une Rave solide, en B2B avec mon bon vieux copain et talentueux DJ Ennony !! On va bien se marrer je pense !!

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