- Salut Angel, ravis de t’accueillir sur notre plateforme. On va commencer par aborder ton parcours en termes d’influences musicales. Quels styles ont croisé ton chemin depuis ton enfance et qu’est-ce qui t’as amené à la musique électronique ?
J’ai commencé à trainer chez les disquaires les après-midis à partir du collège. J’allais jusqu’à sécher les cours du lycée pour diguer des nouveautés à écouter et chiner des artistes. C’était le début de l’explosion de l’internet, mais nous n’avions pas encore les plateformes de musique en streaming, qui permettaient d’avoir tout, tout de suite. C’est un sentiment surement générationnel mais j’adorais me rendre chez ce disquaire avec son odeur particulière de plastique et de carton. Chaque semaine, j’y croisais des personnes familières avec qui j’échangeais sur la passion de la musique et d’autres venant de tous horizons. C’était une sorte de caverne d’Alibaba, remplie de trésors où il fallait chercher pour découvrir la pépite. J’écoutais pendant des heures des sons de tous les styles et d’inconnus, l’idée c’était de m’enrichir de toute cette créativité musicale. Je plongeais littéralement dans les bacs de vinyles et à l’époque, j’étais déjà attirée par des covers étranges et complètement barrées. Je suis fascinée par la liberté de s’affranchir des codes pour laisser le champ libre à l’imagination et à la création.
J’ai annoncé, entre deux blagues à mes parents que j’allais devenir DJ et que je m’apprêtais à rentrer dans une école d’apprentissage de l’animation musicale et scénique. La musique me suivait partout et à chaque instant, je n’imaginais pas faire les choses autrement. Suivie ou pas, je l’aurais fait dans tous les cas. J’ai eu la chance d’avoir des parents ouverts d’esprit. Dans cette formation, j’ai pu toucher à tous les styles de musiques. J’adore la New-Wave et le Post-Punk mais ces sons expérimentaux n’avaient pas pignon sur rue, alors je me suis frottée à la House en pensant que ce mouvement toucherait un plus large public. Déjà à cette époque, mon idée était de rassembler le plus de noctambules.
J’ai fait un rêve incroyable, venant de nulle part, soufflant à mon inconscient l’âme des futures soirées [NO GENDER]. La Techno indus est alors devenue ma muse et mon art. Dans ce rêve, je suivais l’aventure d’un.e androgyne, vagabondant dans le milieu de la nuit, une sorte de superstar extraterrestre enflammée par une sexualité débordante d’originalité et totalement scandaleuse. Iel était animé.e par sa quête identitaire, ses plaisirs et sa liberté comme ultimes désirs. Cet espace-temps parallèle rassemblait une communauté sans genre ou chacun.e pouvait être libre, dans une ambiance moite, à la fois dark et euphorique, complétement débridées et rythmées par une techno extatique. Les soirées [NO GENDER] étaient nées, un concept visionnaire pour la liberté des corps, des genres et de la sexualité, à la recherche d’une jouissance collective où chacun.e est transporté.e hors de iel-même.
- Tu es à l’origine du collectif TFIF EVENTS un collectif militant pour l’émancipation des Femmes dans la culture des musiques électroniques, vous dénoncez la binarité de la société, défendez les minorités LGBTQIA+ autant que vous abolissez le patriarcat dominant, pour revendiquer la liberté et l’égalité de tout.e.s. Quel impact a eu la crise sanitaire sur l’intégration de ces communautés ?
Merci pour ce parfait résumé du collectif TFIF EVENTS. En effet, nous menons un combat pour l’égalité et la liberté de tous.tes. TFIF EVENTS revendique surtout l’ouverture des genres dans sa globalité et combat les peurs établies dans nos sociétés. Nous avons la conviction que de mettre en lumière toute la diversité de notre société, finira par créer une révolution du genre et des normes.
C’est difficile de parler au nom de toutes ces communautés. Je crains que l’impact de la crise soit avant tout d’ordre personnel et qu’il y a autant de ressenti que d’individus dans notre société.
Moi-même, j‘ai vécu cette période difficilement, ne pouvant plus jouer de la musique. Je n’avais plus les sensations de la scène et ce contact vital avec le public qui m’insuffle le sens de mon art. J’étais comme perdue, alors que certain.e DJ se sont renfermé.e.s dans la production musicale, je n’y parvenais pas de mon côté. L’interdiction de voir mes ami.e.s, ma famille, mes nièces fut insupportable, surtout avec la peur de transmettre la mort, information diffusée H24 sur nos télés et radios.
Alors forcément, je pense que l’ensemble des communautés ont dû souffrir de cette crise, d’isolement et d’actes encore bien plus insupportables. Nous avons ouvert les yeux, sur les violences faites aux femmes, les maltraitances sur les enfants, les actes homophobes, transphobes… Sans oublier que certains actes sont parvenus jusqu’à l’irréparable.
Nous avons été tous.tes surpris.e.s par l’inimaginable et cette période hostile a écrasé le « vivre ensemble ». Elle a réinstallé des barrières entre tous.tes et la peur a favorisé l’individualisme, le renfermement sur soi, la peur, la violence… Malgré tout, j’ai espoir à imaginer que pour certain.e, cette période fut un temps pour se ressourcer, équilibrer sa vie, profiter de l’instant présent ou de s’interroger pour mieux se connaître, tout comme j’ai pu le faire. J’ai remis les choses à plat et fait de cette faiblesse une force en me concentrant sur TFIF EVENTS pour développer un projet culturel ambitieux et redéfinir ses contours. Toute cette solitude observée m’a donné envie de transformer TFIF EVENTS en un Gang de DJS et de performeurs. Ainsi, j’ai créé ma communauté artistique dans l’attente de retrouver celle du dancefloor. Je voulais qu’il soit le reflet de ce que je défendais pour que TFIF EVENTS devienne une famille dans une famille, une sorte de sous-communauté au sein de la communauté LGBTQIA+.
Ma volonté est de reconnecter toutes ces personnes ensemble au travers de ma musique. Cela m’a donné encore plus envie de produire mes soirées pour les encourager à s’ouvrir, se rencontrer, s’aider et s’aimer… Souvenez-vous quand les musiques électroniques étaient faites pour soulever les barrières plutôt que de les construire. Je fais de ma musique une lutte permanente contre l’indifférence, le manque de tolérance et le nonrespect de l’humanité.
- Vous organisez la série d’événements [NO GENDER] dont la dernière soirée a eu lieu fin mars au Ninkasi. Que ressens-tu quand tu vois le public en symbiose avec la musique oubliant toute norme ?
Rien n’est comparable à ce moment-là, aussi bien que le sexe ! Le public est un partenaire fidèle lors nos folles soirées lyonnaises (qui va au-delà de ses frontières aujourd’hui). J’ai un immense plaisir à sentir et voir chacun se libérer à sa manière tout en appartenant à une communauté dont les convictions sont inclusives et fédératrices. Lorsque j’entends la cage de métal vibrée, les cris ou les corps se déchainée, les bras levés, le temps s’arrête et je suis moi-même transporter dans un état second de folie musicale.
- Comment faites-vous vos choix artistiques ?
Je privilégie les artistes techno femme ou queer, c’est les fondamentaux que nous défendons depuis la création du collectif en 2017. Seulement, nous prônons l’ouverture et tous.tes les artistes qui rallient notre cause sont les bienvienu.e.s. Le talent n’est pas qu’une simple question de sexe ou de genre ! Même si les femmes sont souvent plus douées (c’est la féministe qui parle) que les hommes ! Je programme sur la lignée de notre Gang de DJS, je suis attentive et toujours à la recherche de talents émergents. J’ai aussi la casquette artistique au sens large du terme, puisque je tiens le gouvernail des performances artistiques des soirées et des collections d’accessoires et de vêtements en latex [NG] de la maison Kinkyx (en collaboration avec Diane Killer). Nous travaillons tous étroitement, basés sur ma vision du concept [NO GENDER]. Je reste donc toujours en veille sur les tendances de la mode et des esthétiques propres du milieu BDSM.
- Que dirais-tu aux personnes qui ne connaissent pas ce milieu et curieux de découvrir vos soirées ?
Si tu es cool et ouvert d’esprit et que tu aimes faire la fête sans limite, viens nous voir. Je crois que nos soirées se vivent avant tout. Je peux te décrire notre volonté, mais je crois que l’expérience vécue ne peut être remplacée par des mots. Lors de la précédente soirée, j’ai fait des ITW du public moi-même et je me suis rendue compte au fil des confidences que la réalité dépassait bien plus que mon rêve. Le public en tient les rênes, c’est lui, par sa consistance, son énergie, qui donne et détermine l’ambiance. C’est un peu comme un chef d’orchestre, je donne les directions, je crée une ambiance sonore mais ce sont les musicien.ne.s qui donnent l’âme à la composition, tout comme notre public peut le faire pour nos soirées !
- Tu commences 2022 avec le lancement de votre nouveau concept [SCUM] en résidence au Sucre. Peux-tu nous en dire plus sur ce projet ?
C’est un projet que j’avais imaginé avant le confinement, en regardant la série American Horror Story parlant entre autres de l’écrivaine féministe Valérie Solanas et de son œuvre S.C.U.M Manifesto. J’ai poussé les recherches sur l’histoire de cette femme militante, qui m’a touché, surtout par sa triste mort où elle a fini toute seule alors qu’elle avait dédié sa vie à l’émancipation de toutes les femmes. Solanas s’est battue toute sa vie contre le patriarcat dominant, elle reste un personnage ambivalent entre folie, croyances et convictions. Je me suis inspirée de cet appel à la révolte pour faire de la fête un acte politique. [SCUM] c’est le mot anglais de la crasse et de la boue ou de la lie, une insulte que j’utilise ici comme cri de ralliements, pour transformer les stigmates et les rebus de la société en communauté légitime, celle des gens en marge.
Ces soirées techno parlent à celleux qui sont en dehors des normes, au-delà du genre et en dessous de la société. Nous l’adressons à iels, que l’on appelle les putes, les gays, les trans et les folles, les salopes, les tarlouses ou les gouines etc… [SCUM] cherche à fournir un espace festif aux sous-cultures pour qu’elles interagissent et se soutiennent mutuellement. C’est faire bouger et décoller dans les hauteurs, celleux que la société confine encore dans ses égouts.
[SCUM] n’est évidemment pas un événement d’actions politiques violent contre la société, mais la traduction artistique d’un état d’esprit punk, d’une tolérance attitude, d’un mode de vie ou d’une façon de penser. [SCUM] s’adresse à toutes personnes bienveillantes débarrassées des convenances, sans conflit de sexe, de genre, d’autorité, de privilèges ou de normes. [SCUM] est un appel aux rassemblements pour créer son propre manifeste à la vie, à la joie, aux différences et à la fête.
Avec [SCUM], j’assassine le genre, je démonte la mode et je provoque les standards culturels avec son esthétique trash. Cet un évènement pluridisciplinaire qui correspond à mon univers, avec l’envie de croiser des disciplines artistiques avec lesquels je joue pour sortir des codes. [SCUM] c’est donc un défilé de mode anticonformiste en latex, des performances débridées, une techno agressive aux accents Punk dans une atmosphère de liberté sexuelle assumée propre au collectif. C’est aussi l’occasion de parler de notre marque [NG] et de présenter les nouveautés de nos accessoires et vêtements, imaginé par KINKYX, spécialiste de la mode en latex. KINKYX présente aussi son savoir-faire et son univers cousu main au travers de l’élaboration de nouvelles collections prestiges en latex pour chacune de nos soirées.
- La seconde soirée a été le moment de présenter votre nouvelle marque de vêtements et d’accessoires, [NG]. Pour toi la mode et la musique sont-elles indissociables ?
Tel que j’ai imaginé mon collectif, la culture de la mode, de la musique et du genre sont indissociables. Je fais de la musique pour faire bouger, danser le public. Je mets donc des corps en mouvement. De plus, je défends une libération des corps que ce soit par le genre, sa forme ou son sexe ou son style sur le dancefloor. L’histoire de la mode s’est toujours en partie confondue avec celle de la culture queer, que nous défendons. Plusieurs générations de stylistes et grands couturiers LGBTQIA+ ont laissé une empreinte définitive sur la mode. Il est donc naturel de proposer un Dresscode pendant nos soirées qui permet de faire tomber les barrières de l’identité sociale pour chacun.e devienne une personne affranchie de la norme et égale aux autres. Notre société nous interroge constamment sur ce que nous portons. Nous intégrons aussi des performances liées à des tenues toujours plus extravagantes qu’outrageuses. Donc oui, la mode est une inspiration pour ma musique, avec des tendances BDSM. Mon but est de casser les codes avec une mode singulière, un univers pour que chacun puisse porter l’esthétique qui découle de nos soirées, de notre communauté. Je veux fédérer, rassembler. Je suis toujours incroyablement émerveillée par le look engagé et la créativité du public [NO GENDER].
- Comment as tu construit le mix pour Paradox ?
Je l’ai imaginé comme si j’étais à une [NO GENDER] dédié à Paradox. C’est toujours un exercice délicat pour moi sans ce public qui m’anime tant, je l’imagine donc comme une sorte d’introspection intérieur. Je fais ressortir mes émotions présentes à cet instant avec une sélection de tracks d’artiste du moment que j’ai apprécié.
- As tu un.e artiste que tu as récemment découvert.e et que tu voudrais nous faire découvrir ?
Il y a quelques artistes qui me viennent en tête, mais je vais prêcher pour ma paroisse et vous parlez d’une DJ que je connais depuis un moment. C’est la pepite de notre collectif, haut en BPM : Soraä. Elle tient les pistes de manière remarquable et transmet une énergie constante jusqu’à finir à 153 BPM pour la dernière [NO GENDER]. Elle est aussi d’une belle profondeur humaine et c’est frais et pétillant. J’invite tout le monde à venir la voir partout où elle joue, c’est de la frappe.
- Comme tu peux le constater, la vie est truffée de paradoxes. Qu’est ce qu’il te semble le plus paradoxal dans le milieu de la musique électronique?
De manière générale ma musique s’est construite sur des revendications de notre société, je suis donc abasourdie par le quotidien du 21ème siècle. Pour moi, c’est paradoxal d’imaginer qu’aujourd’hui encore, des personnes luttent contre la liberté des uns et des autres plutôt que de les favoriser. Que la peur soit la principale source d’une société construite sur des valeurs de liberté, fraternité et d’égalité. Que des personnes soient toujours en marge, luttant pour leurs reconnaissances. De voir que le mensonge peut avoir de la valeur pour déclencher une guerre. Plus précisément, dans le milieu des musiques électroniques, je trouve paradoxale que dans une société dite égalitaire, les femmes DJS doivent se mettre toujours en avant pour qu’elles puissent exister. Évidemment, je partage et soutiens l’idée des collectifs DJS femmes engagées et actives qui se sont récemment constituées, mais nous devrions d’abord être reconnues pour notre talent avant notre genre ! Enfin, nous sommes directement victime d’un paradoxe lors de nos évènements. Nous prônons un espace safe, bienveillant et respectueux qui attire, malgré tout, des casseurs d’ambiance. C’est pourquoi, nous avons créé une plateforme communautaire SOS sur Telegram pour que chacun.e puisse agir à la sauvegarde d’un espace safe pendant nos soirées.
- As-tu des projets plus personnels niveau musique en 2022 ?
Je me suis amusée à remixer la queen du punk : Nina Hagen. Un trésor culturel que j’ai voulu revisiter et démonter. La plus trash du trash capable de passer des aigues les plus stridents aux graves les plus profonds. I Am What I Am, reflète mes revendications pour libérer les âmes et affirmer son soi-même : je suis ce que je suis. Ce track va bientôt sortir sur le label Queer allemand Durch. Un nouvel EP arrive aussi !